Invité sur LCI mardi 3 juin, François Bayrou annonce son intention de voter contre la réforme des institutions lors du vote prévu à l'Assemblée nationale dans l'après-midi. Il répond à Christophe Barbier sur les différents sujets d'actualité. Retrouvez l'intégralité de la discussion ...

 

Christophe Barbier : François Bayrou, bonjour.
François bayrou : Bonjour.
CB : L'Assemblée nationale vote aujourd'hui en première lecture la Réforme des institutions, voterez-vous oui? voterez-vous non? vous abstiendrez-vous ?
FB : je voterai non , parce que ce texte ne touche pas l'essentiel, et l'essentiel, comme vous le savez, vous en êtes le témoin tous les jours, c'est la soumission du Parlement à l'égard de l'exécutif et du président de la République.
CB : Tout de même : maîtrise de l'ordre du jour, confirmation du contrôle ...
FB : Tant que vous ne touchez pas au cordon ombilical qui relie les députés au président de la République, cela a été rappelé encore par un ministre ce week-end, qui a dit : « n'oubliez jamais que c'est parce que vous avez été investi par Nicolas Sarkozy que vous êtes élu », ce qui est évident, .. tant que vous ne toucherez pas à cela, autrement dit, que vous ne mettrez pas une loi électorale plus juste qui permettra aux députés où à une partie d'entre eux de devoir leur mandat, non pas au président de la République, ni au principal parti de l'opposition, mais au peuple, parce qu'ils en représenteront les opinions importantes, tant que vous n'aurez pas fait ça, vous n'aurez rien fait. Et même, on va un peu en arrière, par exemple, on a introduit une idée, une idée qui pourrait être intéressante, le référendum d'initiative populaire. Cela a des défauts, des qualités, mais ça pourrait être une idée. Mais, on soumet ce référendum, non seulement aux quatre millions huit cent mille signatures – excusez-moi du peu- qu'il faut pour l'organiser ...

 


CB : 10 % de l'électorat
FB : ... mais encore , au fait que cela soit signé d'abord par 184 députés et sénateurs, autrement dit on le donne uniquement au parti majoritaire et au principal parti de l'opposition, ce qui veut dire qu'on fait un pas vers une bipolarisation accentuée, et ceci accentuera les problèmes des institutions françaises et ne les corrigera pas.
CB : L'équilibre du budget de la nation, du budget de fonctionnement, en revanche, va rentrer dans la Constitution, ça c'est ce que vous réclamiez... vous devriez être content ?
FB : Pas du tout. J'aurais été ravi que ça rentre dans la Constitution? j'ai même voté pour naturellement en séance, mais cela n'a pas été retenu. Ce qui est retenu, c'est l'idée que on va pouvoir présenter des lois pluri-annuelles dans un objectif d'équilibre. Si vous rencontrez un ministre des finances depuis 20 ans qui n'ait pas eu l'objectif de l'équilibre, .... évidemment tout ceci ce sont des paroles verbales et rien de sérieux.
CB : Vous déplorez que les Assemblées ne puisse répondre au président quant le président viendra en Congrès s'adresser à elles, mais c'est plutôt préserver la séparation des pouvoirs ..
FB : Enfin, vous voulez rire ... Si le président de la République considère que députés et sénateurs, Parlement, sont assez importants pour venir s'adresser à eux comme représentants de la nation, au moins doit-il avoir la pudeur et le respect d'entendre ce que députés et sénateurs ont à lui dire. Qu'est-ce que cela veut dire : convoquer ainsi les représentants de la nation pour s'adresser à ceux sans accepter qu'ils répondent. Et donc pour moi, c'est une marque de plus du mépris dans lequel on tient, en France, la représentation nationale.
CB : Si le texte n'évolue pas dans la suite des débats, lors du Congrès qui sera sans doute tenu le 21 juillet à Versailles, le Mouvement Démocrate votera-t-il oui? votera-t-il non ? ou bien laissera-t-il faire, simplement pour prendre les petites avancées et renvoyer à plus tard une vraie réforme des institutions?
FB : Vous savez, chez nous, la liberté de vote est la règle. Mais en tout cas, moi je voterai non, et beaucoup de mes amis aussi.
CB : Et vous n'avez pas peur de perdre les quelques avancées au profit du Parlement qui sont tout de même dans ce texte ?
FB : Je ne participe pas à des opérations d'intox, à des opérations qui sont des leurres pour faire croire qu'on fait quelque chose alors qu'on ne fait rien. Le problème de la Vème république et des institutions, il est parfaitement identifié par tout le monde. C'est que le Parlement n'existe pas en face du président de la République. Il faut lui donner de l'existence, et tant qu'on ne touche pas à l'origine, à sa légitimité électorale, on ne touche à rien.
CB : Xavier Bertrand est-il dans le leurre ou dans la réalité de la réforme, quand il veut profiter du débat sur la représentativité des syndicats pour réformer de fond en comble et assouplir considérablement les 35 heures ?
FB : C'est une décision extrêmement grave. Et, ça n'est pas tant parce qu'elle porte sur les 35 heures... On aurait pu adopter une autre démarche pour les 35 heures que celle qui a été choisie. Mais, c'est parce qu'on a dit aux syndicats et à l'ensemble des partenaires sociaux, représentants des entreprises aussi bien que des salariés, .. on leur a dit : « Ecoutez, si vous arrivez à un accord satisfaisant, cet accord là , nous le soutiendrons, et il deviendra la loi.» Et ils ont de bonne foi, fait un pas, qui est un pas important et notable, dans le sens d'un assouplissement. Et puis, une fois qu'ils ont fait ce pas-là, à ce moment là, on les piège, et on dit : « Maintenant, vous avez fait le pas, vous avez mis le petit doigt dans la mécanique et on va y passer le bras. » C'est quelque chose qui est, qui restera, à mon sens, comme une des erreurs principales de ces 12 ou 13 mois de nouvelle législature. C'est une faute, parce que c'est une faute contre la confiance. Les syndicats avaient fait un pas très important, avaient fait un effort sur eux-même; on les piège, et vous verrez que de cela il sortira quelque chose, à mon sens, de malsain.
CB : Etes-vous d'accord avec Jean-Pierre Raffarin, quand il dit qu'il faut tout de suite rétablir des relations de confiance avec la CFDT; c'est d'elle dont on a besoin pour réformer le pays.
FB : Bien là , en l'occurrence, CFDT et CGT avaient toutes deux fait des pas. Et il y a des explications, mais il est trop tard pour y entrer, ..
CB : C'était pour de bonnes raisons tout cela, parce qu'au fond on va donner aux entreprises le droit de gérer le temps de travail dans l'entreprise ...
FB : .. Est-ce que vous vous rendez compte, le sentiment de frustration et l'espèce de rupture de confiance qu'il y a. Même la présidente du MEDEF est montée au créneau pour dire : « attention, vous êtes en train de faire une mauvaise action. Toucher à cet accord, c'est rompre la dynamique qui s'était mise ne place » et qui faisait qu'enfin les partenaires sociaux avaient – comment dirais-je – le sentiment de responsabilité, qui faisait qu'ils avançaient dans le sens d'un assouplissement lorsqu'il le fallait. Au lieu d'être constamment crispés sur les acquis, ils allaient de l'avant. C'est cela qu'on est en train de briser, et je vous assure que c'est probablement un moment de tournant, de bascule grave, dont il sortira, à mon sens, des choses qui ne sont pas favorables pour la société française.
CB : La loi sur la modernisation économique, en débat depuis hier à l'Assemblée, prévoit l'installation plus facile de grandes surfaces sur le territoire, notamment pour que la concurrence fasse baisser les prix. Le Mouvement Démocrate, le MoDem, soutient -il cette initiative ?
FB : La question principale, c'est le monopole , ou le presque monopole, qui existe pour 5 grandes centrales d'achat, qui vont avoir des moyens renforcés, une puissance renforcée, pour tordre le bras, pour faire le bras de fer avec leurs fournisseurs, que ce soit agricoles ou industriels...
CB : 5 centrales d'achat, ce n'est pas un monopole, c'est déjà une concurrence, si on les met sur un même territoire, elles se feront une concurrence saine ..
FB : Non, vous savez bien que aujourd'hui, il y a un déséquilibre complet entre les centrales d'achat des grandes surfaces et ceux qui sont leurs fournisseurs, avec le moyen de les obliger à des bakchichs, à des contributions de toutes natures. Et c'est pourquoi, moi, ce que j'attends, c'est qu'il y ait une haute autorité de la concurrence efficace, pas seulement une apparence, efficace pour briser ces ententes.
CB : L'annulation du mariage pour cause de mensonge de l'épouse sur sa virginité à Lille, fait donc l'objet d'un appel de la part du Parquet. Etait-il bien d'annuler ce mariage pour protéger cette jeune femme ? ou était-ce au contraire une concession trop forte à la morale ou à la religion ?
FB : Comme vous savez, je suis un croyant laïc. Et donc, moi j'ai une idée absolument certaine de ce point de vue là qui est qu'il ne faut jamais mélanger la loi religieuse et la loi civile. Que ce sont deux choses distinctes. Cela dit, j'ai lu que la jeune femme était elle-même demanderesse de cette dissolution pour que cela soit derrière elle et qu'elle n'ait plus ce poids sur la tête . Donc, ça c'est au juge d'apprécier, et on va voir en appel ce qu'il en est.
CB : Simplifier le lycée en réformant les filières, l'idée de Nicolas Sarkozy pour diminuer le poids des sciences et moderniser le bac est-elle bonne ?
FB : C'est la , combien , vingtième fois qu'on annonce le rééquilibrage des filières ... on l'a fait .. je veux rappeler que du temps où j'étais ministre de l'éducation nationale, on a , en quelques années, rééquilibré beaucoup les filières entre enseignement scientifique, enseignement littéraire, enseignement économique et social dans le lycée général et avec le lycée professionnel. Donc cela a pu se faire; je sais une chose, c'est que si on ne concerte pas avec ceux qui seront chargés d'appliquer la réforme, on va vers des déboires importants. Ca n'est pas au sommet que un président tout seul, sans gouvernement, vous avez vu que François Fillon est totalement effacé dans ces affaires, qu'un président tout seul peut décider de l'avenir de l'organisation du lycée. Et donc, je suis pour que l'on demande à ceux qui font, qui sont sur le terrain, qui ont la charge d'appliquer ces réformes, leur sentiment, et si on veut individualiser, cela ne se fera pas sans moyens.
CB : Pas d'augmentation de la redevance pour financer l'audiovisuel public. Nicolas Sarkozy a tranché. Vous l'approuvez ?
FB : Sur ce point , oui. J'ai toujours été contre l'augmentation de la redevance, mais je n'étais pas pour supprimer la publicité sur les chaînes publiques. Qu'est-ce qu'on est en train de faire ? Un cadeau très important aux chaînes privées, et vous voyez que deux décisions sont à mettre en rapport : la première c'est , suppression de la publicité sur les chaînes publiques, qui d'ors et déjà a fait un trou de trois ou quatre cent millions d'euros dans le budget de ces chaînes, - comment va-t-on le payer ?- et deuxièmement, la deuxième coupure publicitaire dans les films, qui est évidemment le moyen de pouvoir enfin mettre sur la grille des programmes cette manne qui va se produire. c'est donc un choix qui privilégie les télévisions privées pour leur apporter plus de manne publicitaire. Et ceci est d'une parfaite transparence.
CB : Pierre Moscovici vous tend la main : « Discutons avec François Bayrou ». Vous êtes prêt à la saisir cette main ?
FB : Un jour, de toute façon, il sera nécessaire qu'il y ait en France un nouvel équilibre politique, parce que, il faudra , une fois qu'on sera au bout de cette expérience qui est en cours, regarder de quelle manière on peut proposer aux Français autre chose ...
CB : et ça passera par un rapprochement PS-MoDem ?
FB : Je suis un constructeur. Je veux que ces choses-là bougent et changent, et donc, pour ma part, je suis dans une attitude positive à l'égard de tous ceux qui souhaitent qu'un jour les lignes bougent en France.
CB : Un constructeur ... un exilé, dit Sarkozy. Il l'a dit à ses militants : « J'ai exilé François Bayrou à Pau ». Vous êtes discret depuis les municipales.
FB : Oui, ... l'idée qu'on puisse être discret est en effet pour beaucoup, et pour le président de la République, une étrangeté. Moi je pense qu'il y a des moments où ce n'est pas la peine, en effet, de s'exhiber ou de passer tout le temps sur les plateaux et sous vos projecteurs. Je pense qu'il est nécessaire parfois d'attendre que les choses deviennent manifestes et claires. C'est dans cette période que je suis, mais il est vrai que maintenant, il va falloir s'exprimer parce que les choses prennent une tournure inquiétante.
CB : François Bayrou, merci et bonne journée.

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François Bayrou votera contre la réforme des institutions

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