ON ME DISAIT : C'EST TROP FACILE DE CRITIQUER BIEN CALE DANS SON FAUTEUIL

 

Marianne : Pourquoi passer du journalisme à la politique ?

Jean-François Kahn : J'ai définitivement tourné la page du journalisme. Mais je veux continuer à défendre les idées que, depuis trente-cinq ans, j'ai essayé de développer dans mes articles, mes livres et, tout simplement, la vie. Je ne passe à rien, je continue autrement.
Nous sommes confrontés à un chambardement comparable à la révolution industrielle du début du XIXème siècle qui, certes, ne rature pas les notions de droite ou de gauche, mais modifie complètement les critères de leur énonciation. Regardez : aux Etats-Unis, on nationalise deux grandes banques et ça fait grimper la Bourse. Le néolibéralisme parvient à ses plus spectaculaires résultats sous une dictature communiste. Jamais on a autant exacerbé les inégalités et les exclusions que ne l'a t'ait la gauche britannique de Tony Blair. Alors la gauche et la droite... Il faut tout recomposer. Si on peut y aider...

 

Vous aviez une influence certaine comme journaliste libre de parole. Ne risquez-vous pas de la perdre ?

J.-F.K. : La question peut se retourner. Cela fait des années que l'on me dit : vous êtes bien gentil avec vos critiques, mais pourquoi ne passez-vous pas à l'acte ? Pourquoi ne mouillez-vous pas votre chemise ? Présentez-vous ! Faites des propositions, ne restez pas dans votre fauteuil !

 

Votre transfert risque de valider tout ce que vous avez écrit sur la « bulle » médiatico-politique, monde clos où journalistes et hommes politiques fonctionnent à la connivence ?

J.-F.K. : Mais la connivence, c'est de faire du journalisme et de la politique en même temps mais... sans le dire. Cesser d'être journaliste pour participer à la vie publique comme je propose de le faire, c'est le contraire de la connivence ! Vous n'allez pas me dire que Jean-Claude Dassier, le directeur de la rédaction de TF 1, n'est pas engagé en politique ? Simplement, il ne le dit pas, il prétend être tout à fait neutre et, dans les faits, c'est un homme politique engagé. Moi, je ne dirige plus rien et je ne triche pas. Arrêtons l'hypocrisie.
Ce que je ne comprends pas, c'est cet étonnement apparent. On me dit : vous êtes journaliste et vous allez rentrer dans l'arène politique. Outre que je l'ai toujours fait, qui était Camille Desmoulins, Danton, le Girondin Brissot, Marat, hélas ? Thiers, Clemenceau pour le meilleur, Hochefort pour le pire, Léon Blum, le grand Kérillis, Gabriel Péri ou Jean-Jacques Servan-Schreiber ! Qui étaient-ils, sinon des journalistes ? Que veut-on ? Que la politique soit totalement professionnalisée ? Que les élus s'identifient à une caste coupée du réel ? Ou que toutes les forces vives, comme on dit, participent au débat public comme lorsque Lamartine, Eugène Sue, Aragon ou Edgar Quinet étaient parlementaires ?

 « Cesser d'être journaliste pour participer à la vie politique, c'est le contraire de la connivence. »
 

 

Mais pourquoi le MoDem ?

J.-F.K. : C'est le mouvement dont je suis évidemment le plus proche, sans l'être à 100 %, tout le monde le sait. C'est le lieu d'où l'on peut faire bouger les choses, à la fois dans les têtes et d'un point de vue institutionnel. Faire exploser la machinerie bipolarisante : le rêve ! En privé, vous avez des ministres qui stigmatisent la dérive monarchique du pouvoir ; en privé, toujours, vous aviez les pontes socialistes qui vous expliquaient qu'ils ne voteraient jamais Ségolène Royal à l'élection présidentielle. Mais tout cela, ils ne l'auraient jamais dit en public.
Quand on en arrive à un tel degré de double discours, c'est que le système est totalement malade. Alors, si le MoDem peut contribuer à le subvenir, c'est très bien. Il ne suffit pas de répéter que la gauche est dans un état lamentable, que la droite n'est plus qu'un club de supporteurs de Sarkozy, et s'en laver les mains. C'est trop confortable.


N'est-ce pas confortable aussi de s'engager comme tête de lisle duns une région - le grand Est - où le MoDem fait de bons scores ?

Ne devenez-vous pas l'un de ces enfants gâtés de la politique que vous avez souvent dénoncés, parachuté dans un fauteuil avec la certitude d'être élu ? J.-F.K. : D'abord, je ne suis pas encore candidat, ce sont les militants qui en décideront. Et, si je me présente, je choisis naturellement la région où j'ai toutes mes attaches. Enfin, quitte à me présenter, autant contribuer à ce que la liste arrive en tête et arrache trois élus plutôt qu'en troisième position avec deux élus. C'est un challenge. Je veux bien d'ailleurs laisser ma place s'il n'y a pas trois élus. A mon âge, personne n'imagine que je cherche à faire une nouvelle carrière. Cela dit, ce qui est important dans une élection à la proportionnelle, c'est que les électeurs peuvent, enfin, exprimer librement leur véritable sensibilité sans être terrorisés par le vote utile.
En outre, on ne cherche pas à tuer l'autre, ce qui me serait insupportable : ce n'est pas moi ou l'autre, c'est moi et l'autre. L'enjeu, c'est le message. Enfin, c'est l'occasion de pouvoir en même temps dire à la gauche qu'elle ne peut plus continuer comme ça, qu'elle doit se refonder, et aux gaullistes, aux libéraux de progrès qu'ils ne doivent pas continuer à cautionner une restauration monarchique.

 

En proposant une alliance au PS, François Bayrou vient de vous ramener aux réalités de la manœuvre politique...

J.-F.K. : Ne soyons pas totalement éthérés : un leader doit forcément être un stratège. Moi, en la matière, je suis plus bayrouiste que Bayrou : convaincu qu'il faut inventer un nouveau logiciel, refonder un nouveau socle républicain, la question des alliances ne m'intéresse pas.

 

Vous avez dénoncé le fonctionnement autocratique du sarkozysme, mais celui du MoDem ne semble guère plus démocratique...
J.-F.K. : Le MoDem, dont je ne suis pas membre comme vous le savez, est le produit de la transformation d'un parti de notables sans militants en un parti de militants mais qui ne dispose quasiment plus de notables. Ce n'est pas forcément rédhibitoire ! François Bayrou s'est retrouvé seul parce que, un peu comme François Mitterrand après 1968 ou Pierre
Mendès France après 1958, victime de la brutalité de cette mutation, il a été lâché, y compris par sa supposée garde rapprochée. Le danger, effectivement, serait de trouver cette solitude confortable. Mais si personne ne veut accompagner cette expérience nouvelle tout en disant que Bayrou est un type très bien et qu'il a raison, il est sûr que le MoDem deviendra monarchique.
De toute façon, il y a là un vrai problème : le PS est le parti le plus démocratique de France. Résultat ? Il est en train de s'autodétruire, les écolos aussi. Et même le PC depuis qu'il est devenu une pétaudière. LUMP, à l'inverse, fonctionne comme le PCF des années 60, petite troupe au garde-à-vous derrière son chef, mais il suffit que celui-ci prenne des distances et cela redevient un panier de crabes. Il faut donc inventer autre chose.

 

Le MoDem est-il à lu hauteur de celte ambition de bouleversement politique, si l'on se souvient qu 'en 2007 François Bayrou évoquait l'eurobéat Pascal Lamy comme Premier ministre et qu'il est aujourd'hui conseillé par Jean Peyrelevade qui défend le néolibéralisme de Fillon contre Sarkozy ?

J.-F.K. : Puis-je vous rappeler que j'ai codirigé un journal, Marianne, sans forcément être d'accord avec tout ce qui y était publié. Ou encore que j'ai voté oui au référendum sur la constitution européenne alors que la rédaction s'est prononcée très majoritairement en faveur du non. Est-ce que cela nous a empêchés de nous rassembler sur l'essentiel et de faire entendre une autre musique ?
Si j'avais participé à la Résistance comme mon père, cela aurait été, mon Dieu, bien pis que des divergences avec Peyrelevade. J'aurais dû me battre aux côtés de royalistes et de staliniens !

 

Qu'allez-vous faire d'un mandat européen, qui ne sert pas à grand-chose... ?

J.-F.K. : Etre confronté à des gens venant de 27 pays, ça m'intéresse. Cela peut être très enrichissant. Mais je dois évidemment, sauf à être égoïste, me demander si, moi, je peux apporter quelque chose. Et, en fait, je n'en sais rien. Est-il possible - c'est toute la question - de provoquer au niveau européen un débat sur la nécessaire refondation de nos sociétés dont l'être doit redevenir le centre, et non plus l'Etat ou l'argent ? Ce n'est pas seulement un slogan. On voit bien aujourd'hui à l'œuvre une logique néolibérale que personne ne maîtrise, qui affole même les libéraux et qui a complètement décentré l'homme au profit de l'argent •


Propos recueillis par Eric Conan et Renaud Dély
13 au 19 septembre 2008 / Marianne

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