Jean-Michel Aphatie : Bonjour, François Bayrou.

François Bayrou : Bonjour.

Le livre que vous signez qui est très attendu et que vous évoquez ce matin sur RTL, pour la première fois, sera en vente à partir de demain en librairie. Il est édité chez Plon. Il s'intitule "Abus de pouvoir". Que représente ce livre pour vous, François Bayrou ?

Vous voyez, nous vivons depuis plusieurs mois, depuis quelques mois après l'accession de Nicolas Sarkozy au pouvoir, une période...

... Deux ans, pratiquement...

... Deux ans maintenant, une période très troublée. Dans cette période troublée, il y a des millions de Français qui trouvent qu'il y a des dérives, qu'il y a des choses qui ne sont pas acceptables, qui sont mal à l'aise, qui pour quelques-uns d'entre eux, sont indignés mais ils n'arrivent pas à identifier clairement le projet qui, à ce point, les trouble.


Vous les définissez, vous, François Bayrou ?

Et ce que j'ai voulu, par ce livre, c'est montrer à chacun d'entre eux souvent désespéré parce qu'ils ont l'impression qu'ils protestent mais que nul ne les entend... J'ai voulu leur montrer qu'ils n'étaient pas seul et qu'il y a, en effet, selon moi, dans les actes qui paraissent parfois désordonnés du pouvoir actuel, il y a une logique, et que cette logique il faut, en effet, la refuser parce qu'elle remet en cause les principes qui sont ceux de notre Histoire.

Cette logique, vous la définissez, François Bayrou, comme "l'idéologie des inégalités croissantes". Et vous commencez votre livre - ce sont les premières lignes comme ceci, elles m'ont un peu étonné - : "Le Président de la République actuel a un plan. Il nous conduit là où la France a toujours refusé d'aller. Il le fait sans mandat, sans avoir exposé son intention. Au contraire". Vous voulez dire qu'il a menti pendant la campagne présidentielle ?  

Essayons d'utiliser les mots justes.

Oui.

La campagne présidentielle, vous y avez assisté ; j'y ai participé ; nous avons vu exactement de quoi elle était faite. Les discours de Nicolas Sarkozy, c'étaient des discours républicains, presque socialistes. Il a convoqué Jaurès et Blum, et presque Karl Marx, pour exalter les attentes qui sont des attentes de justice du pays. Et en réalité, la politique qu'il a suivie ensuite, est une politique qui au lieu d'aller vers l'égalité est allée vers l'inégalité.

Mais pendant la campagne, il avait annoncé les réformes qu'il ferait ?

Non. Enfin, en tout cas...

Réforme l'université... Plein de choses !

Ce choix de l'inégalité, il ne l'avait pas annoncé. Il avait fait entendre la musique exactement contraire. Il a, dans le discours de Saint-Quentin, il y a quelques jours à peine, il a  prononcé une phrase qui est pour moi, extraordinairement choquante pour ce qu'est la vision du monde de la France. Et cette phrase, c'était : "Une société égalitaire, c'est le contraire d'une société de libertés et de responsabilités". Eh bien, cette phrase qui attaque directement le coeur du projet français, c'est-à-dire la longue marche vers l'égalité au sein de la société française, cette phrase-là, elle est pour moi une mise en cause, une attaque contre ce que nous avons de plus précieux.

Il faut voir ceci, je le dis en une phrase. Il y a un affrontement dans le monde, dans la globalisation, entre deux modèles de société :
- Le modèle de société dominant (j'avais dit pendant la campagne, le modèle de société américain, le modèle de société "bushiste", de Bush) qui est le modèle où on choisit d'aller vers les inégalités parce que c'est plus dynamique pour la société, dit-on, croit-on. Aujourd'hui que la crise est là, il me semble qu'on devrait dire le contraire !
- Et le modèle de société français. Le modèle de société républicain français, c'était une proposition universelle, une proposition au monde en disant  : nous, nous allons vers la justice. Nous ne sacrifions pas la justice à l'efficacité. Nous voulons faire marcher les deux ensemble ; et c'est cet abandon-là qui, me semble-t-il, organise dans l'université, dans la recherche, dans l'hôpital, dans les services publics, la vision du monde de Nicolas Sarkozy.

Vous ne vous en prenez pas qu'à son projet politique, François Bayrou, vous vous en prenez aussi à la personnalité du chef de l'Etat. Vous critiquez son goût de l'argent, son goût de la puissance. Est-ce que ça n'est pas aller au-delà de ce que le débat politique doit permettre, François Bayrou ?

Ah, je ne pense pas qu'il y ait une mise en cause de la personne. Il y a une mise en cause de l'attitude.

En êtes-vous sûr ?

Sûr. J'explique même nos relations d'où elles viennent...

Vous en parlez peu d'ailleurs, un peu mais pas beaucoup, je trouve. Un peu. D'accord.

Si. Il y a une histoire.

Je trouve qu'en effet, la manière où les choix qui sont les choix de valeur qui sont ceux de Nicolas Sarkozy ne collent pas avec ce que la fonction devrait exiger. Lorsque Nicolas Sarkozy exalte la réussite financière, la réussite matérielle des très grands banquiers, par exemple ; selon moi, il n'est pas dans le rôle d'un Président de la République. Un Président de la République français, c'est quelqu'un qui voit la réussite ailleurs que dans l'argent. Et c'est très important parce qu'il y a des millions de Français, il y a des millions de médecins, il y a des millions d'infirmières, il y a des millions de chercheurs, oh combien... Il y a des millions d'universitaires, il y a des millions de gens qui triment de PME, d'artisans qui n'auront jamais accès à ce monde des grandes fortunes ; et le Président de la République devrait être leur défenseur. Il devrait être de leur côté en face de la puissance matérielle.

Chaque fois que j'emploie le mot de "résistance", écrivez-vous, il y a comme du procès dans l'air. "Résistance, vraiment croyez-vous, disent les bouches en cul-de-poule, croyez-vous qu'on en soit là ?" La bouche en cul-de-poule, je vous le demande François Bayrou : vous n'en faites pas trop ?

Non, je pense que c'est exactement ça.

Vous êtes en résistance ?

Oui. Il y a une entreprise dans la société française de mise en réseaux d'un certain nombre de grandes puissances qui marie l'industrie, la finance, les médias, la politique et qui s'impose sur la société française et qui, me semble-t-il, mérite qu'en effet, on leur résiste.

Qui n'empêche pas, en tout cas, votre liberté d'expression, François Bayrou ?

Ah bien, j'espère bien !

Cette mise en réseaux.

Excusez-moi de vous dire que j'espère que pendant longtemps malgré toutes les tentatives, la liberté d'expression ne sera pas mise en cause dans notre pays. Vous vous rendez compte, Jean-Michel Aphatie...

Non, non... Mais parce que vous dites : mise en réseaux tous les puissants...  

Arrêtons-nous une seconde !    

Vous avez la liberté de le dire !

Vous êtes une radio très importante. Vous êtes un journaliste très important d'une radio très importante ; et vous dites comme ça : mais François Bayrou, est-ce qu'au fond, est-ce que ça n'empêche pas votre liberté d'expression ? Mais s'il vous plaît, j'ai bien l'intention que tous les citoyens dans notre pays puissent garder leur liberté d'expression aussi longtemps que possible. J'espère bien que personne n'aura jamais l'idée que la liberté d'expression peut être mise en cause, que par exemple on peut s'arranger...

Non, c'est ce que vous suggérez parfois dans votre livre.

Eh bien non. Non, je ne suggère pas, je dis.

C'est vous qui le suggérez.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que je ne prends pas des détours, je dis les choses franchement.

Voilà.Nicolas Sarkozy, cité page 2 du "Figaro" d'hier : "Je ne me contorsionne pas, je suis en phase avec le pays". Voyez, il est loin de ressentir les choses comme vous !

Eh bien, ça prouve qu'il y a deux visions.

Et sondage de "Sud-Ouest" ce week end :si l'élection présidentielle était à refaire, il ferait 28% de voix au premier tour (il en faisait 31, il y a deux ans) ; donc, il n'a pas beaucoup perdu, François Bayrou ?

Oui, enfin à voir ! Parce que ce que Nicolas Sarkozy a fait, il y a deux ans, ce n'est pas 31% comme vous le dites : c'est 53%.

Premier tour : 31. Le sondage portait sur le premier tour avec les autres candidats.

Et si, et si les Français... Oui et d'ailleurs vous pourriez aussi dire le score des autres.

Et vous avez un peu monté : vous faites 19,5%, je crois. C'est ça ?

Merci beaucoup.

Voilà.

Et donc presque 20%, c'est pas si mal. Je veux dire : ça veut dire quelque chose. Non, mais arrêtons-nous une seconde au sondage puisque vous l'avez évoqué.Si les Français se sentaient en phase, alors il y aurait un soutien beaucoup plus large. Je pense qu'une partie de l'opinion maintient sa confiance à Nicolas Sarkozy. Ce que je crois c'est que le reste du pays, en revanche, décroche pour des raisons profondes et qu'ils n'arrivent pas à exprimer.

Et je voudrais simplement dire ceci : le sens de ce livre, c'est qu'il y a un projet républicain français qui mérite aujourd'hui d'être repris et défendu. Levez la tête et levez les couleurs ! Il y a un moment dans la globalisation qui nous est imposé où il faut que nous défendions nos propres valeurs, j'estime que ce livre servira cette cause.

François Bayrou présentait ce matin, sur RTL, pour la première fois son livre "Abus de Pouvoir" - 18,90 euros - publié chez Plon. Bonne journée.

Auteurs : Jean-Michel Aphatie & Adrien Borne


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