C’est le cri d’alarme de François de Closets pour qui les hommes politiques nous conduisent à la catastrophe, faute de courage.
François de Closets accuse les hommes politiques de totale irresponsabilité
Article choisi par Rodolphe THOMAS.
François de Closets, le célèbre journaliste qui dénonce les abus, est furieux… « d’avoir eu raison trente ans trop tôt » : « En 1992, j’ai commencé à dénoncer le dérèglement des finances publiques. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à l’échéance fatale », dit-il, accusant les hommes politiques de totale irresponsabilité. Pour lui, notre pays est en grand danger, et il s’offusque : « Qu’un pays comme la France, avec autant d’atouts, soit au bord de la faillite, ce n’est pas concevable ! »
FRANCE-SOIR La France est réellement au bord de la faillite ?
François
de Closets Oui, et je suis fou de rage d’avoir eu raison dans mes
prédictions. Je me suis toujours dit « Pourvu que j’aie tort ! » On me
traitait de pessimiste… Mais cette fois, nous sommes bien au pied du
mur.
F.-S. Que faire ?
F.
C. Il faut arrêter de mentir aux Français ! Nous payons l’addition de
trente-cinq ans de mensonges politiques et de laxisme budgétaire.
Résultat : c’est 70 milliards d’euros qu’il faut aujourd’hui trouver
pour éviter la faillite. Et cela, on le sait depuis 2005. On n’a rien
fait. Maintenant, on y est.
F.-S. Nos hommes politiques savaient réellement que la France allait dans le mur ?
F. C Evidemment ! C’était écrit dans les rapports officiels, oui, et dès 2005.
Maintenant,
la France ne doit pas trouver 10 ou 20 milliards d’euros, comme on nous
le dit, mais 70 milliards pour retrouver l’équilibre budgétaire et
combler son déficit chronique. L’échéance fatale était prévue pour
2014. Elle est venue plus vite que prévu parce que la crise financière
est arrivée là-dessus.
F.-S. Comment en est-on arrivé là ?
F.
C. C’est une responsabilité partagée de la droite et de la gauche.
Chirac et Jospin ont renoncé au sauvetage de nos finances dès 1999, par
pure démagogie, alors qu’ils en avaient les moyens financiers… En 1997,
avec 4 % de croissance, avec le pétrole bradé à moins de 20 dollars et
les taux d’intérêt les plus bas, la France avait les moyens de
rembourser sa dette. Elle avait des rentrées fiscales providentielles,
avec environ 40 milliards de francs d’excédents. DSK, ministre des
finances de Jospin, voulait affecter ces excédents au remboursement de
la dette, mais il n’osait pas le dire. Il avait la « rigueur honteuse ».
Là-dessus, le président Chirac repère ça et, le 14 juillet,
patatras,
il révèle aux Français qu’il y a une « cagnotte » ! Il décide alors de
distribuer cet argent aux Français, avec la complicité de Jospin, qui ne
demande pas mieux.
F.-S. On a donc raté le coche du désendettement ?
F.
C. Exactement ! Au moment où la France pouvait enfin rembourser ses
dettes, l’Etat a tout flambé ! Et ce n’est pas la seule occasion
manquée. Avant cet épisode, sur les 100 milliards d’euros recueillis
lors des privatisations des grandes entreprises, 20 milliards seulement
ont été affectés au désendettement. Le reste a servi à mettre du beurre
dans les épinards…
Même chose quand l’Etat brade son patrimoine
immobilier. Pour parler clair, les gouvernements ont vendu les bijoux de
famille pour boucler les fins de mois.
F.-S. Pourquoi, subitement, c’est la panique générale ?
F. C. Parce qu’il y a deux crises qui s’additionnent, et cela ce n’était pas prévu.
Il
y a la crise des finances publiques, dont nous venons de parler, et
maintenant la crise financière, qui se préparait dans l’ombre, et qu’on
n’avait pas prévue.
Les responsabilités des politiques et des
banquiers se sont ajoutées l’une à l’autre. Les uns ont nourri les
autres. Depuis trente ans, les politiques ont fait du clientélisme, en
laissant la France vivre très au-dessus de ses moyens. Et les banques
ont tiré profit de la dette pour spéculer et aggraver les choses. Le
laisser-aller de la finance publique et la perversion de la finance
privée nous ont amenés là où nous en sommes. Et comme les politiques
sortent des mêmes écoles que les banquiers, tout ce petit monde s’est
très bien entendu.
F.-S. Comment se sortir de ce bourbier ?
F. C. On a trop
longtemps fait croire aux Français que le déficit assurait la croissance
et l’emploi. En réalité, il faut savoir dire non, entre « toujours plus
» de dépenses ou de revendications et des recettes forcément limitées.
F.-S. Il est déjà trop tard pour agir ?
F. C. Non ! Mais il faut
mobiliser tout le pays, tout de suite. Cela exigera « du sang, de la
sueur et des larmes ». Nous sommes dans une économie de guerre. Ce doit
être l’occasion de redresser la France, comme en 1945. Les Français en
ont assez d’être trompés. Ils veulent un langage de vérité, même s’il
est très dur. La crise financière de cet été a obligé le gouvernement à
faire un pas, mais un tout petit pas seulement. Les Français sont assez
mûrs pour comprendre et accepter les choses. Ils veulent qu’on les sorte
de là.
F.-S. Les candidats à la présidentielle de 2012, vous convainquent-ils ?
F.
C. Pris de court, ils promettent aujourd’hui le retour à l’équilibre,
mais c’est un pur mensonge. Ils n’osent même pas utiliser le mot «
rigueur » et encore moins « austérité ». Ils se moquent de nous ! Rien
dans leurs programmes ne permet vraiment d’agir. Il faut prendre des
décisions radicales, qu’il faut emprunter à la gauche comme à la droite :
interdire les déficits, surtaxer les hauts revenus, beaucoup plus
qu’actuellement, briser l’économie de spéculation et encadrer
strictement l’activité bancaire. Mais de l’autre côté, nous devons
contrôler les prestations sociales et lutter contre la fraude qui coûte
des milliards à la France, encadrer le droit de grève, remplacer
seulement un fonctionnaire sur trois dans la fonction publique
territoriale (dans les mairies, les embauches et les dépenses ont
explosé !) et supprimer totalement – et sans reculer – les niches
fiscales qui représentent des dizaines de milliards d’euros… Halte au
clientélisme et aux bons sentiments.
F.-S. Les Français sont-ils prêts à accepter de telles mesures ?
F.
C. Aujourd’hui tous les Français ont peur, tous les Français savent
qu’on est face à l’échéance. Ils voient aussi ce qu’on fait à
l’étranger. Ils voient ce qui arrive à l’Espagne, à l’Italie et à la
Grèce. Quel Français croit encore qu’on va y échapper ? Certains pays,
comme l’Allemagne, l’Angleterre ou le Canada, ont pris en temps et en
heure les mesures nécessaires, et ça a payé. En France, on est à des
années-lumière de ce qu’exige la situation. Il faut s’attaquer
simultanément au système financier et au système étatique.
F.-S. Peut-on réellement s’attaquer aux dérives financières ?
F.
C. Avec de la volonté, oui. Il faut séparer clairement la banque
commerciale (celle des particuliers) et la banque de marché
(spéculatif). Car aujourd’hui, vos petites économies subventionnent la
banque de marché. Les Anglais sont en train de le faire. On peut
réformer aussi le système bancaire en taxant les opérations financières
et en cassant la spéculation. Savez-vous que la moitié des ordres de
Bourses sont envoyés automatiquement par des ordinateurs en continu, au
millième de seconde. C’est le Casino ! Il n’y a aucune raison pour que
la valeur d’une entreprise change plusieurs fois au cours de la journée.
Problème : en France, les banquiers sont tellement puissants qu’aucun politique n’ose les contrarier !
F.-S. En conclusion ?
F. C. Cette fois, la France est face à son
échéance fatale. Sans courage politique, on va à la catastrophe. Ce ne
sont plus des mots ni des prévisions.
C’est vraiment la dernière échéance.
Par Jacques Hennen et Patrick Mene